Colère au volant : décryptage

Publié le par L'expert

L’agressivité au volant est un phénomène préoccupant pour la sécurité routière. Depuis une quinzaine d’années, il suscite un intérêt croissant, sans pour autant qu’il ait été démontré que ce phénomène s’accentuait", lance Patricia Delhomme, directrice du Laboratoire de Psychologie de la Conduite et coauteur d’un article1 sur le sujet.

Qu’est-ce qu’un comportement agressif ?
Les comportements agressifs au volant sont tous les comportements intentionnelsalimentés par de la colère ou de la frustration mettant en danger les autres usagers de la route que ce soit psychologiquement et (ou) physiquement.

La plupart du temps, un comportement agressif au volant est associé à d’autres comportements. Seuls quelques comportements isolés tels qu’insulter un autre conducteur ou lui adresser des gestes hostiles au volant sont identifiables comme des comportements agressifs. Généralement, la colère est considérée comme un état émotionnel et physiologique de courte durée. Elle se caractérise principalement par une excitation physiologique.

Rage au volant : 200 morts et 12 000 blessés aux Etats-Unis
 Depuis une dizaine d’années, 
les comportements agressifs et d’incivilité au volant semblent en recrudescence dans nombre de pays industrialisés. Aux États-Unis, entre 1990 et 1995, les altercations avec violence sur la route auraient augmenté de 51 %. Larage au volant, considérée comme l’acte de conduite le plus violent qui soit, augmenterait chaque année de 7 % et serait responsable d’environ 200 morts et 12 000 blessés. Dès 1994, des chercheurs américains font l’hypothèse d’un lien entre colère au volant, comportements agressifs et transgressions des règles légales de conduite.

Quelles échelles pour évaluer le degré de colère ?

Ces auteurs développent alors une échelle de colère au volant en tant que trait de personnalité : la D.A.S. (Driving Anger Scale). Celle-ci enregistre la propension à éprouver de la colère au volant dans différentes situations de conduite. Dans sa version longue, l’échelle se compose de 33 items repartis en six facteurs ou types de situations génératrices de colère : «Gestes hostiles» (3 items), «Discourtoisie» (9 items), «Conduite illégale» (4 items), «Présence des forces de l’ordre» (4 items), «Conduite lente» (6 items) et «Circulation entravée» (7 items). Par exemple, pour la situation «gestes hostiles», on peut retrouver comme item : «quelqu’un vous klaxonne à propos de votre conduite» ; pour «conduite illégale», «quelqu’un grille un feu rouge ou un stop» ; pour «discourtoisie», «quelqu’un colle votre pare-chocs arrière», etc.

Méthode : une nécessaire adaptation à la situation française

«En France, aucune recherche sur la colère éprouvée au volant n’avait été menée jusqu’alors, explique Patricia Delhomme. Avec Arnaud Villieux dont j’ai dirigé la thèse (co-financée par la région Ile-de-France et l’INRETS2), nous nous sommes intéressés à la colère ressentie au volant, en tant que trait de personnalité (ou prédisposition à ressentir cette émotion) et (ou) en tant qu’état émotionnel transitoire. Nous avons mesuré la colère éprouvée au volant à l’aide de la D.A.S. et la manière dont les automobilistes déclarent l’exprimer à l’aide du D.A.X. (Driving Anger Expression Inventory). 

Nous avons 
adapté en français ces deux échelles que nous avons validées auprès de jeunes automobilistes dans la catégorie d’âge qui est la plus impliquée dans les accidents de la route (Delhomme & Villieux, 2005). Nous avons testé les qualités psychométriques de la D.A.S. et proposé une version française de cette échelle en 22 items (au lieu de 33) répartis en 5 facteurs avec modification du facteur «conduite entravée» et suppression du facteur «discourtoisie». L’examen des qualités psychométriques du DAX (Villieux & Delhomme, 2008 ; Villieux & Delhomme, soumis à publication) a permis d’identifier un modèle en 3 facteurs et 11 items (initialement 4 facteurs et 49 items). Nous avons abandonné le facteur «expression physique de la colère» dont les scores étaient trop faibles (quasi-inexistants) dans le contexte culturel français.

Sommes-nous tous égaux face à la colère ?
Notre 
objectif est d’explorer en France, dans le cadre de deux études menées auprès de jeunes automobilistes, les liens entre la colère éprouvée au volant, les infractions ainsi que les accidents de la route tels que les automobilistes les ont eux-mêmes déclarés. Pour cela, nous avons examiné les qualités psychométriques, notamment la validité de construit et la cohérence interne des scores obtenus à la D.A.S. traduite en français.» 

Tous égaux face à la colère ?

Cette recherche teste auprès de 284 jeunes automobilistes, dans le cadre de deux études, les liens entre colère éprouvée au volant, infractions de conduite et antécédents d’accidents déclarés. L’approche différentielle tente d’établir les différences interindividuelles quant à la propension à éprouver de la colère au volant. Les recherches dans ce domaine ont montré aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest trois phénomènes. Les automobilistes qui ont un score élevé à la D.A.S., comparés à ceux qui ont un score faible :

- se mettent en colère au volant de façon plus fréquente et plus intense,

- s’engagent dans davantage de comportements agressifs et à risque,

- sont impliqués dans davantage d’accidents de la route.

"Certains n’expriment pas leur colère"

«S’il arrive aux automobilistes d’éprouver de la colère au volant, tous ne vont pas l’exprimer de la même façon selon les situations de conduite. C’est ce que Deffenbacher et al. ont montré à l’aide de l’inventaire DAX : des automobilistes peuvent ne pas exprimer du tout leur colère tandis que d’autres vont tenter de la gérer positivement, et d’autres encore vont manifester une agressivité plus ou moins importante, laquelle peut être verbale, physique, etc. 
Les jeunes automobilistes, âgés de 18 à 25 ans, déclarent que les événements décrits dans la D.A.S. les amèneraient à se mettre plutôt en colère au volant. Des liens positifs entre colère au volant et comportements de transgressions apparaissent. 
Dans nos recherches, les 
deux facteurs qui s’avèrent être les meilleurs annonciateurs des infractions sont : 
- la 
colère éprouvée au volant lorsque le conducteur est gêné dans sa progression par la présence d’un autre usager, 
- «
manifester de la colère au moyen de son véhicule» (facteur du DAX)».

Homme et femme : des différences réelles mais ténues

Les différences observées sur le plan de la colère au volant auprès de plus de 2 000 jeunes automobilistes, dans le cadre de l’enquête MARC, entre hommes et femmes sont plutôt ténues. Les femmes se distinguent des hommes dans la mesure où ellesdéclarent éprouver davantage de colère au volant dans les situations où les autres automobilistes adoptent des comportements infractionnistes ainsi que lorsque lacirculation est entravée (embouteillages, travaux obligeant à suivre des déviations, etc.), et inversement éprouver moins de colère lorsqu’elles se trouvent à proximité des forces de l’ordre ou lorsqu’elles sont gênées dans leur progression à cause de la lenteur des autres automobilistes.

La colère précède le danger 
«Dans deux de nos recherches, réalisées auprès d’étudiant(e)s dans une ville de province de moyenne importance (Rouen), nous nous sommes intéressés aux effets de la colère en situation de conduite avec la technique du carnet de bord.» Au total, ces jeunes déclarent avoir rencontré au volant, tous les deux trajets ou tous les 60 km, un événement pour lequel ils ont éprouvé pendant une courte durée (entre 1 mn et 3 mn) de la colère d’intensité moyenne. 
«Dans la dernière recherche, nous avons étudié les comportements agressifs perçus notamment à inciter les automobilistes à se comporter comme l’agresseur l’entend sur l’intensité, la durée et l’expression de la colère éprouvée. Les 
situations de conduite les plus fréquemment rapportées comme engendrant de la colère sont «conduite illégale» et«progression gênée par le comportement de l’autre usager», situations où le comportement de l’autre usager est perçu comme plus intentionnel comparées par exemple aux situations où la conduite est entravée, par exemple à cause de travaux.»

Excès de vitesse : fortes tentations

Globalement, les participants estiment que les situations de conduite présentées dans la D.A.S. les amèneraient à se mettre plutôt en colère. Concernant les transgressions, les participants manifestent l’intention de transgresser, de temps en temps, la limitation de vitesse au cours des trois prochains mois tout comme ils déclarent avoir, à une fréquence semblable, transgressé la limitation de vitesse au cours des trois derniers mois. Enfin, ils considèrent avoir rarement grillé un feu rouge au cours des 30 derniers jours. Le facteur «discourtoisie» est le seul facteur de colère qui est corrélé, et ce de manière positive, avec les antécédents d’accident aussi bien sur les trois dernières années que sur la dernière année. Le facteur «présence des forces de l’ordre» est l’unique facteur de colère à corréler, et ce de manière positive, avec la perte de points. Il l’est également avec l’intention de transgresser la limitation de vitesse.

Les trois limites de l’enquête

«Des limites doivent cependant être posées à nos conclusions, tempère Patricia Delhomme. 
- La faiblesse de la taille de nos échantillons invite à mener dans le futur des mesures complémentaires auprès d’une population plus conséquente pour apporter d’éventuelles modifications aux items problématiques (notamment ceux faisant partie des deux facteurs « discourtoisie » et « circulation entravée ») et proposer ainsi une version française définitive de la D.A.S. 
- Une autre limite concerne la validité de la D.A.S. dans la mesure où il est généralement de bonne stratégie d’analyser la validité concourante et discriminante avec d’autres instruments ou encore en testant la fidélité temporelle. 
- Une troisième limite peut être formulée à l’égard de l’emploi de questionnaires comme instrument de mesure de la colère éprouvée au volant. Cependant, le recours aux déclarations des automobilistes est très fréquent et ce, d’autant que plusieurs études mettent en évidence des relations positives, et ce de manière significative, entre les déclarations d’automobilistes sur leurs comportements spécifiques de conduite et ceux qu’ils pratiquent réellement lorsqu’ils sont au volant.»

Vers une « éco conduite » ?
Cette recherche atteste de l’existence de liens positifs entre propension à éprouver de la colère au volant et infractions des règles légales de conduite d’une part, et accidents de la route déclarés par les participants d’autre part. 

L’intérêt de la D.A.S. est de permettre de mieux caractériser des comportements délétères pour la conduite. Des actions spécifiques pourraient être adressées aux automobilistes sujets à la colère au volant. La propension à éprouver de la colère au volant pourrait être diminuée dans le cadre d’actions de formation, en petits groupes, fondées sur le développement de stratégies d’autocontrôle et de gestion de situations de conduite 
«Si on réussit à diminuer l’agressivité de certaines personnes au volant, elles auront une conduite plus souple. Ce qui sera autant bénéfique pour la sécurité que pour l’environnement, car qui dit conduite plus souple, dit moins consommatrice et donc moins polluante», remarque Patricia Delhomme.

Source : Axes, n° 44.

Mensuel d’actualité édité par l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS)

Publié dans PSYCHOLOGIE

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article